Le web social est un réceptacle et un catalyseur d’émotions. Images, actualités, émoticons, vidéos… nourrissent en effet les émotions du public au quotidien tandis que les fonctionnalités des réseaux sociaux (“mood graph” de Facebook, trending topic de Twitter) les amplifient.
Nous nous sommes intéressés à l’une de ces émotions, la peur, car elle revêt une importance particulière dans les problématiques d’influence. Parce que cette émotion ancestrale provoque un instinct de fuite accompagné d’une inhibition de la pensée, elle favorise l’irrationalité de l’individu. Elle crée alors un terrain propice à la désinformation, à la rumeur et à une potentielle manipulation des foules.
Connaître les peurs les plus évoquées dans les réseaux sociaux, cerner quels rôles jouent ces derniers selon les risques qui participent d’une compréhension plus fine des mécanismes d’influence du web.
METHODOLOGIE
A partir d’un champ lexical de la peur (risque, danger…), nous avons relevé 750 urls par type de source pour l’ensemble des médias et réseaux sociaux publics et pour la période 1/01/2014 au 31/03/2015 : commentaires d’articles, blogs, forums, plateformes de pétition, Twitter, Facebook. Ces contributions ont été triées puis enrichies d’information comme le sujet évoqué (maladie, terrorisme…), le comportement face au risque (relais d’information, dénonciation, humour, recherche d’information…), le type de victime déploré, le responsable incriminé.
ENSEIGNEMENTS GENERAUX
- L’actualité, premier fournisseur de sujets anxiogènes
La liste des peurs est le reflet d’un peu plus d’une année d’actualités. Peur d’Ebola, du terrorisme, de l’islam, de la montée des extrêmes…. Font écho à des sujets récurrents dans les médias pour une année qui a connu les attentats terroristes et des élections locales.
- Internet, agitateur de peurs collectives
Les peurs véhiculées sur le Net sont des peurs majoritairement collectives. Les internautes ne partagent leurs craintes personnelles (maladie, angoisses professionnelles, réussite de leurs enfants…) que dans 9,6% des cas. D’ailleurs, dans 90,3% des contributions, il n’y a pas de victime particulière évoquée. Si les internautes exposent peu leurs propres phobies, une sur-réaction à certains faits d’actualité font sans doute écho à leur peurs personnelles. Ainsi la peur de la délinquance en tête des sujets de notre étude est à rapprocher de la peur de se faire agresser, numéro 1 des peurs selon une étude IPSOS de 2014 (source).
L’austérité, la pollution et même la perte d’emploi restent des dangers qui les engagent assez peu face à des sujets plus sensationnels comme le terrorisme ou Ebola.
- Une difficile prise de recul
S’ils ne sont que 5% à opérer une distanciation du danger par l’humour, ils sont plus nombreux (9%) à critiquer le traitement de l’information ou de la solution apportée sur le net mais ne restent que 9% à avancer des solutions. Leur premier réflexe est de relayer l’information (30,8%) et de dénoncer le risque (17%).
COMPORTEMENTS NOTABLES
1.Les peurs virales
Les peurs virales sont celles qui ont généré de la part de l’internaute, un comportement de relais d’information, de dénonciation du risque et de débat sur le traitement de l’information.
Top des peurs les plus virales :
- Insécurité- délinquance
- Terrorisme
- Ebola
- Angoisses professionnelles
- Montée des extrêmes
Quels rôles jouent les réseaux sociaux ?
Les peurs virales sont les plus visibles sur le Net par la masse d’individus qu’elles mobilisent. Elles sont généralement suscitées par des faits d’actualité dans la presse, principalement les grands médias comme Le Figaro et Le Monde, qui leur donnent un rayonnement immédiat.
Les internautes utilisent les fonctions de partage (Facebook, Twitter, LinkedIn, Google+…) du média en question pour relayer l’information en moyenne 1815 fois par article anxiogène.
Les peurs virales sont aussi celles qui génèrent le plus de réactions dans la zone de commentaires des articles médias pour :
- Critiquer le traitement médiatique ou la solution proposée (28%)
- Dénoncer le risque pour les populations (18%)
- Appeler au changement ou à la mobilisation (16%)
- Mener une réflexion sur les solutions (13%)
Top des espaces du web social activés :
- Zones de commentaires des médias
- Partage sur Facebook et Twitter
- Crainte spontanée sur Twitter
Notre analyse :
Ce ne sont pas les faits qui frappent l’imagination du public et génèrent ces peurs virales mais la manière dont ils sont présentés.
Le titre de l’article qui provoque ces peurs virales a une dimension émotionnelle forte : surprise, indignation, horreur, choc… Nous constatons qu’il y a parfois un écart entre le caractère anxiogène du titre de l’article et la sobriété du fond. En effet, plus les internautes vont partager un article, plus l’audience du média sera importante, celui-ci a donc intérêt à provoquer une contagion. Or c’est le titre de l’article qui apparaît dans les réseaux sociaux ou sur Google Actualités, c’est donc lui qui doit disposer de cette puissance émotionnelle pour générer clic et partages….
Sur Twitter, certains internautes attisent les peurs par des hashtags spécifiques qui créent l’amalgame entre des faits divers non liés entre eux et donnent un sentiment de montée des périls.
2. Les peurs qui mobilisent
Les peurs qui mobilisent sont celles qui ont généré de la part de l’internaute une réflexion, une interrogation, un appel à l’action.
Top des peurs qui mobilisent
- Insécurité-délinquance
- Sécurité routière
- Culture en danger
- Terrorisme
- Angoisse professionnelle
Quels rôles jouent les réseaux sociaux ?
L’engagement des internautes contre les risques passe d’abord par les blogs. C’est un lieu de partage d’information, de dénonciation du risque et de réflexion. L’incitation à l’action ou au changement monte encore d’un cran sur les plateformes de pétition qui appellent à la mobilisation collective.
Top des espaces sociaux activés
- Blogs militants
- Plateforme de pétition change.org
Notre analyse
Le blogueur, se posant en leader d’opinion suggère une autre lecture de l’actualité. Elle peut être associée à des idéaux (politiques, économiques, religieux) ou à des valeurs qui font sens pour son audience. Le blogueur agit comme un meneur qui flatte les passions de ceux qui le lisent et incite à l’action. L’action quant à elle, facilitée par les plateformes de pétition, ne coûte qu’un clic.
3. Les peurs intimes
Ce sont les peurs qui se caractérisent par le partage d’une crainte personnelle, la recherche d’information et/ou de soutien.
Top des peurs intimes
- Réussite scolaire des enfants
- Terrorisme
- Angoisse professionnelle
- Maladies
Quels rôles jouent les réseaux sociaux ?
Plus intimes, elles s’expriment majoritairement sur les forums qui, par rapport aux réseaux sociaux, permettent de développer longuement sa situation personnelle et d’obtenir des réponses personnalisées. Elles reflètent dans cette étude une difficulté pour les individus à gérer la pression de la réussite, tant pour soi, par les angoisses professionnelles, que pour ses enfants. Le risque de maladies, de complications liées à la grossesse, d’effets secondaires des médicaments, de difficultés d’accès aux soins sont aussi très présents.
Top des espaces sociaux activés
- Forums santé
- Forums féminins
Notre analyse :
La formulation des peurs intimes ne semblent pas compatible avec la caisse de résonnance que constituent les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. Les internautes leur préfèrent les forums de discussion, où l’individu peut s’abriter derrière un pseudo et où la solidarité est plus forte avec une communauté de fidèles qui renseigne ou rassure.