Dans un univers digital où les consommateurs citoyens et utilisateurs ont pris une forme de pouvoir, Caroline Faillet analyse les jeux d’influences pour éclairer les stratégies des entreprises. Co-fondatrice du cabinet Opinion Act et enseignante à HEC Paris, elle leur propose d’appliquer les préceptes du penseur Sun Tzu au monde numérique. Rencontre.
Bonjour Caroline Faillet, pouvez-vous nous présenter Opinion Act ?
Notre cabinet de conseil en stratégie digitale travaille sur un matériau vivant : les conversations sur le net. En tant que « netnologues », nous décryptons les opinions et essayons de comprendre l’influence du numérique sur les publics, par exemple lors du processus d’achat. Cette écoute est riche d’enseignements pour les entreprises, qui réfléchissent à l’évolution de leurs produits.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des usages professionnels sur le net ?
Depuis les années 2000, les professionnels ont vécu les mêmes révolutions d’usage que les particuliers. Les moteurs de recherche du web 1.0 ont permis de comparer les prix et d’accéder à de nouvelles informations, ce qui a bouleversé les pratiques des entreprises. Le web social a ensuite facilité le networking professionnel et fait apparaître sur les marchés de nouveaux leaderships d’opinion. Avec les blogs ou le crowdfunding, chacun peut être salarié et actionnaire, client et prescripteur. Cette porosité créée plus de partage et de transversalité dans l’entreprise.
Basé sur la collecte des données, via notamment des objets connectés, le web 3.0 a fait émerger des services comme Uber ou des applications professionnelles qui facilitent la mise en relation, l’intermédiation ou la personnalisation.
A l’image de la mutation que connaît actuellement le commerce, le web 4.0 fusionne les univers digitaux et physiques. Du bureau, à l’habitat, de l’hôpital à l’automobile, tous les secteurs devraient être impactés.
Quelles sont les conséquences pour les entreprises ?
Ces évolutions ont conduit à une prise de pouvoir du consommateur citoyen et de l’utilisateur final. Les entreprises sont engagées dans « une guerre digitale », avec une première ligne de front qui se situe au niveau de l’opinion et de la réputation. Les clients exigent qu’elles respectent une nouvelle forme de loi morale. Au-delà de la réglementation, la question de l’acceptabilité sociale et de la légitimité d’une activité devient centrale. Les mobilisations autour de l’exploitation du gaz de schiste ou de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en sont de bons exemples.
Des « uberisateurs », comme Uber, Airbnb, Netflix ou Amazon ont su capitaliser sur la prise de pouvoir de l’utilisateur et capter la valeur en développant de nouveaux modèles économiques en rupture. Quand les clients plébiscitent leurs standards de service, l’ensemble de la filière, tant en B2C que B2B, doit s’aligner et revisiter son approche.
Justement, dans votre ouvrage « L’art de la guerre digitale », vous proposez des réponses en transposant Sun Tzu au web…
Effectivement. 500 ans avant JC, ce général chinois était un grand artisan de l’étude du terrain. Il est pertinent de s’en inspirer en cartographiant avec minutie son environnement digital, en comprenant la désinformation sur son marché, les nouveaux jeux d’influence et la manière dont se forge l’opinion.
Sun Tzu était un défenseur de la parcimonie des moyens. L’important n’est pas de déployer ses troupes tout le long des frontières, mais aux endroits stratégiques. Sur le web, le principe est le même. Une entreprise B2B, n’a pas nécessairement besoin d’ouvrir une page Facebook, même si ce réseau compte des milliards d’utilisateurs. L’important est de positionner ses forces aux bons endroits, sur les points névralgiques où l’on peut influencer au maximum ses clients et prospects […].